samedi 1 juillet 2017

Culture

Bernard Lavilliers - Croisières méditerranéennes


"C'est un truc qui me hante depuis longtemps"
"Incendiés par la guerre, écrasés de soleil, fouettés par la poussière, dévorés par le sel (...) On est venu à pied, du fond de la misère", chante Bernard Lavilliers dans "Croisières méditerranéennes".

Le Stéphanois, qu'on avait quitté il y a peu avec l'hymne engagé "La loi du marché" en duo avec Cyril Mokaiesh, raconte cette fois la longue marche des réfugiés, les espoirs brisés et les morts aux portes de l'Europe.

"Il y a 20.000 personnes au fond de la Mediterrannée, d'après l'ONU", a rappelé le chanteur vendredi matin sur France Inter. "Alors il y a les croisières Costa qui font des prix avec des gens qui boivent du champagne et pendant ce temps-là, très en dessous, au ras de la mer, il y a des chalutiers et des zodiacs qui coulent. Ou pas. C'est un truc qui me hante depuis fort longtemps."

La bibliothèque réinventée de Pacôme Thiellement


Au fond de la cour pavée de la cité artisanale, rue Daguerre à Paris, la galerie Corinne Bonnet présente la bibliothèque de Babylone. Une exposition concoctée par Pacôme Thiellement pour laquelle il a demandé à une vingtaine d’artistes de créer une œuvre originale illustrant la couverture de livres imaginaires ou disparus. Une occasion rare de voir réunis les travaux de Scott Batty, Arnaud Baumann, Stéphane Blanquet, Captain Cavern, Olivia Clavel, Lucie Dobaria, Sandra Ghosn, Killoffer, Mattt Konture, Philippe Lagautrière, Yann Legendre, Bertrand Mandico, Jean-Christophe Menu, Muzo, Pascal, Thomas Perino, Kiki Picasso, Placid et Aline Zalko.

Jusqu'au 15 juillet à la galerie Corinne Bonnet, 63 rue Daguerre, 75014 Paris.


Biennale de Venise : 
l’art contemporain comme acte de résistance

Jean-Jacques Régibier


Le contraste est saisissant entre deux courants très distincts de l’art contemporain, tels qu’on peut les découvrir jusqu’à l’automne au cœur de la cité des Doges. D’un côté, chez le riche mécène français François Pinault - au Palais Grassi et à la Douane - les sculptures monumentales du plasticien milliardaire Damien Hirst.


Des œuvres impressionnantes, baroques, intéressantes en ce qu’elles questionnent de manière troublante le rapport du vrai et du faux, de l’original et de la copie, mais des œuvres qui relèvent au fond plus du grand spectacle hollywoodien éternel ( auquel elles empruntent d’ailleurs leurs techniques de fabrication et certains thèmes ), que d’une immersion dans ce qui fait l’actualité du monde. Et d’autre part – disséminés dans les Jardins de la Biennale ou dans les gigantesques entrepôts restaurés de l’ancien Arsenal de la Sérénissime - des centaines d’œuvres d’artistes du monde entier, retenus parmi ceux pour qui il est urgent de regarder en face les périls du monde, et de tenter d'y apporter une réponse. Cette réponse, c’est l’œuvre elle-même, et ce qu’elle donne à penser, à admirer, à s’émouvoir ou à sourire, lorsqu’on se trouve en face.
Nouvel humanisme
Pour sa 57ème édition, la Biennale de Venise a choisi de privilégier les nouveaux talents mondiaux plutôt que de s’appuyer sur des valeurs sûres et anciennes comme c’est souvent le cas dans les grandes manifestations mondiales d’art contemporain. Sur les 120 artistes accueillis, 103 d’entre eux le sont pour la première fois, et ce choix radical se perçoit clairement au fil des œuvres exposées : très peu de choses déjà vues ou qui rappellent d’autres œuvres, et en revanche, beaucoup d’innovations esthétiques, de nouvelles matières, de nouvelles techniques - sources d’étonnement permanentes pour le visiteur, éberlué par les prouesses inédites qu’il découvre dans chaque salle et dans chaque pavillon.
«  Aujourd’hui, alors que nous sommes confrontés à un monde ravagé par les conflits et les chocs de civilisation, l’art témoigne de la part la plus précieuse qui fait de nous des humains, à un moment où l’humanisme est par ailleurs en grand péril, » explique Christine Macel, la conservateur en chef du Centre Pompidou qui a été choisie cette année comme commissaire de la Biennale de Venise. Elle ajoute que « le rôle, la voix et la responsabilité des artistes n’ont jamais été aussi cruciaux dans le débat contemporain. » C’est aussi, dans les temps troubles que nous traversons, le rôle que jouent les artistes pour le président de la Biennale, Paolo Baratta. Il voit dans l’acte artistique, « un acte de résistance, de libération et de générosité, » permettant à l’humanité « d’éviter d’être dominée par les pouvoirs qui gouvernent les affaires du monde. » Cette entrée en matière donne effectivement un sens général aux œuvres exposées dans la mesure où beaucoup d’entre elles abordent, à travers performances ou installations, les grandes questions qui hantent notre temps, qu’il s’agisse des migrations, des menaces sur la planète, du rejet de l’Autre, ou des nouvelles formes de barbarie.


Triomphe de l’image animée 
De toutes les matières artistiques travaillées, on remarque, une nouvelle fois, la vitalité de tout ce qui tourne autour de l’image animée, la vidéo confirmant sa place de premier plan dans l’art contemporain. Les performances présentées à Venise semblent encore repousser les limites de la discipline. Qu’il s’agisse des images animées proposées dans le pavillon de la Russie, et qui se déploient sur une immense voute céleste plongée dans le noir, sur la quelle se déroulent des scènes violentes ou burlesque présentées comme « une métaphore du nouvel ordre mondial émergent, où domine l’agression, la terreur, la vie irrationnelle des masses, la réalité virtuelle et les médias sociaux. » Ou bien des vidéos présentées sur grand écran au pavillon d’Afrique du Sud. Par exemple la très étrange vidéo d’une femme en robe noire allongée au fond d’une barque en train de d’enfoncer lentement sous les eaux ( mais comment ont-ils fait ça ?! ) Deux artistes, Candice Breitz et Mohau Modisakeng, travaillent sur le démembrement de l’identité africaine, telle qu’elle a débuté avec l’esclavage, avant de se poursuivre de nos jours dans les migrations et leurs cortèges de drames. Des interviews croisées de femmes chassées de leurs pays par la guerre, la famine ou la répression politique, abordent également ce sujet des migrations comme événement central de notre temps, désormais inscrit dans l’histoire de l’humanité.
L’artiste letton Mikelis Fisers dont les premières œuvres ont fait scandale dans les années 90, choisit ce qu’il appelle la « déviance ésotérique », en mettant en scène dans d’étranges gravures lumineuses sur bois, des reptiliens et des extraterrestres dans des situations où perce une critique acide et pleine d’humour des valeurs oligarchiques dominantes.


Carlos Amorales, se demandant dans quelle langue il faut parler de son temps, répond en créant son propre alphabet – dont les lettres ressemble à ces papillons noirs dont il couvre par dizaines de milliers les lieux d’exposition - pour raconter les histoires de conflit entre cultures et pays, entre idéologies opposées, ou bien encore l’histoire de ces familles de migrants lynchées au Mexique, le pays où il est né.


Dans le pavillon central des jardins de la Biennale, l’artiste hongrois Varnai Guula réinterroge à travers vidéos et installations, les grandes utopies des années 60, comme autant de « remèdes au pessimisme ambiant, » tandis qu’un groupe d’artistes espagnols présente, également en vidéo, le travail qu’ils ont réalisé dans des quartiers défavorisés de Madrid en introduisant la pratique de danses collectives en plein air comme alternative à l’isolement et à la misère des villes.

Retour aux arts premiers
L’une des autres tendances marquées de cette Biennale, c’est le retour aux arts premiers et à la découverte des toutes dernières populations qui les pratiquent encore. Un travail d’artistes, pas d’ethnologues, dont les œuvres nous poussent à nous confronter à des formes de vie et de pensée radicalement différentes des représentations dominantes auxquelles nous sommes assujettis. Ainsi les gigantesques toiles d’araignées tressées par le plasticien brésilien Ernesto Neto, évoquant la luxuriance de la forêt amazonienne, en hommage aux derniers Indiens qui y survivent. Ou encore les vidéos d’Heraclito Ayrson montrant les rituels pratiqués de chaque de l’Atlantique - à Gorée et au Brésil - par des hommes frappant les murs de maisons en ruine avec des branches garnies de feuilles dans le but d’éloigner les esprits malveillants. Ou celles de Juan Downey qui dès les années 60 avait commencé à collecter des images de vie quotidienne dans des tribus indiennes d’Amérique du Sud – il prétendait vouloir s’opposer très directement à la domination des mass média et des valeurs qu’elles véhiculent. Un pavillon entier de l’Arsenal, est d’ailleurs consacré à ces artistes qui, dans la droite ligne de Marcel Duchamp, réinterprètent leur fonction comme celle d’un « shamam », chargé de porter les valeurs – y compris politiques - dont la communauté, aujourd’hui mondiale, a besoin.
L’artiste vénézuélien Juan Calzadilla cite Camus en nous demandant de nous imprégner de cette idée : « si le monde était clair, l’art n’existerait pas. » Et c’est bien, effectivement, parce que le nôtre ne l’est pas, qu’on a besoin de l’art. La Biennale de Venise, par l’incroyable foisonnement des œuvres présentées - miroir de la vitalité des artistes à travers le monde - réussit à convaincre que la création artistique est bien aujourd’hui un lieu éminent de la pensée de notre temps. On n’insiste pas assez sur le sens de l’humour, de l’ironie ou de la critique acerbe dans lequel baigne un grand nombre de ces œuvres, comme dans leur élément propre. L’art contemporain – dans la droite ligne du mouvement Dada qui a ébranlé de manière durable le monde de l’art au début du XXème siècle - est drôle, parfois même d’un humour potache, qui atteste de sa jeunesse et de son insouciance. Deux qualités sans doute cruciales pour aborder les graves questions de notre temps, et remettre en cause tous les conformismes dominants. C’est bien l’impression finale qui demeure après avoir découvert les milliers d’œuvres présentées à la Biennale de Venise.


La Biennale de Venise se déroule jusqu’au 26 novembre 2017 dans deux lieux principaux et proches: les Jardins de la Biennale et l’ancien Arsenal. Mais aussi dans des dizaines d’autres lieux répartis dans toute la ville et qu’on découvre le plus souvent au hasard des promenades dans les rues et ruelles de la cité des Doges. Renseignements :http://www.labiennale.org/en/Home.html