Encadrement des loyers, pourquoi le tribunal administratif le refuse à Paris ?
MERCREDI, 29 NOVEMBRE, 2017
Le Tribunal administratif vient d'annuler l'encadrement des loyers à Paris qui permettait, depuis le 1er août 2015, aux locataires de louer "abordable". Pourquoi ?
Saisi par les propriétaires-bailleurs de l’UNPI (Union nationale de la propriété immobilière) et de l’association « Bail à part – Tremplin pour le logement » ainsi que la fédération des agences immobilières (FNAIM) qui ne veulent pas se conformer à la loi Alur sur l’encadrement des loyers dans les villes de plus de 50 000 habitants, le tribunal administratif de Paris a donc répondu à leur souhait : « les arrêtés pour lesquels le préfet d’Ile-de-France » et le préfet de Paris ont fixé les loyers de référence majorés et les loyers de référence minorés dans la commune de Paris sont annulés ». Telle est la conclusion du Jugement du 28 novembre 2017 du tribunal administratif de Paris
Cette conclusion qui satisfait les bailleurs privés mais pas les locataires qui ne pouvent plus ainsi louer « abordable » et subissent déjà une baisse de l'APL ne dit rien, telle quelle, du fond du problème qui est la faiblesse du dispositif.
En effet, il faut s’interroger pourquoi le tribunal administratif a annulé l’encadrement des loyers à Paris après l’avoir fait à Lille le 17 octobre, pour le même motif.
Les réponses du tribunal administratif :
- ce dispositif d'encadrement des loyers ne pouvait être mis en oeuvre dans la seule commune de Paris mais étendu à l’ensemble des 412 commues d’Ile-de-France concernées,
- en effet, la loi ALUR du 24 mars 2014 qui trouve son application dans l’article 17 et l’article 25-9 de la loi du 6 juillet 1989 relative aux rapports bailleurs-locataires dit bien que l'encadrement des loyers concerne toutes les zones d'urbanisation de plus de 50 000 habitants.
Dans ces zones qu’il définit, le préfet doit fixer, chaque année, par arrêté, un loyer de référence majoré et un loyer de référence minoré, par catégorie de logement et par secteur géographique.
Ca concerne 1 151 communes de 28 agglomérations en France dont 412 en Ile-de-de-France. D’un clic prenez connaissance du décret qui fixe laListe des communes concernées
- or, en limitant à Paris le champ territorial de l’encadrement des loyers le préfet n’a pas respecté les articles 17 et 25-9 ci-dessus issus de la loi ALUR puisque il concerne les communes de l’agglomération parisienne de plus de 50 000 habitants listées ci-dessus,
- c’est donc une erreur d’appréciation du préfet (selon le tribunal administratif) qui est à l’origine de l’annulation du plafonnement des loyers à Paris.
Comme nous l’expliquons dans notre article encadrement-des-loyers-il-ny-pas-que-paris-et-lille-qui-sont-concernees c’est surtout la faiblesse du dispositif mis en place par le gouvernement Valls et de la loi Alur qui est en cause. En effet, la loi ne s’applique qu’après décret d’application puis encore arrêté de chaque préfet où se trouvent les communes concernées. Et bien entendu de nombreux bailleurs et agences immobilières n'ont pas joué le jeu (49% des appartements parisiensproposés à la locations n'ont pas appliqué le dispositif Alur).
D'où la demande de l'association CLCV à l'Etat - communiqué du 29 novembre 2017 - d’assumer et de compléter son dispositif considérant que les « locataires sont les principales victimes de ce jugement… Les bailleurs demeurant libres de proposer des loyers ahurissants pour des chambres de bonne sans confort. »
C’est également la requête du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées dans son rapport d'évaluation du dispositif encadrement_des_loyers estimant que celui en cours à Paris est un exemple à suivre.
Même son de cloche du côté de la Fondation Abbé Pierre qui appelle dans un communiqué ci-joint à "étendre au lieu d'annuler le dispositif d'encadrement des loyers qui a montré à Paris qu'il pouvait contribuer à limiter les loyers les plus abusifs."
Quant à la CNL (Confédération nationale du Logement) elle estime dans son communiqué Loyers-a-Paris : la justice exhausse le souhait de Macronque " la loi permet à l’Etat de publier un décret de blocage ou de gel des loyers afin de parer à cette situation d'urgence. Il doit ainsi convoquer la commission nationale de concertation afin d’endiguer une probable flambée des prix des loyers ; à long terme, c’est bien la construction massive de logements sociaux qui freinera la domination du secteur privé. Enfin, la CNL réclame un observatoire des loyers contrôlable et vérifiable ainsi qu’une place plus importante des associations de locataires dans le processus de réclamation en cas de loyers abusifs.La décision rendue hier par le tribunal administratif de Paris met en lumière la faiblesse de la loi sur l’encadrement des loyers. Son annulation ne doit pas laisser place à un vide juridique et à l’appétit spéculatif des propriétaires privés."
De son côté et pour toutes ces raisons,
la mairie de Paris a décidé de faire appel
de ce jugement comme nous l’explique
l’adjoint au Logement, Ian Brossat
"Résultat: l'encadrement des loyers est appliqué nulle part"
Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris chargé du logement, de l'habitat durable et de l'hébergement d'urgence.
L'Humanité.fr : le tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés du préfet d’Ile de France encadrant les loyers à Paris. Pourquoi ?
Ian Brossat : "c’est une décision absurde. Le tribunal administratif a jugé que l’encadrement des loyers devait s’appliquer dans les 412 communes de l’agglomération parisienne. Le résultat concret, c’est qu’il n’est plus appliqué nulle part. Alors même qu’à Paris, où il était appliqué depuis deux ans, ses effets avaient été positifs. C’est donc une décision négative pour les Parisiens, qui sont majoritairement des locataires."
L'Humanité.fr : quelle conséquence pour les locataires pour qui l’encadrement des loyers permet de louer abordable ?
Ian Brossat : "la fin de l’encadrement des loyers va pénaliser directement les classes moyennes. Avant sa mise en œuvre en 2015, les loyers augmentaient de 10% par an. Ces deux dernières années, depuis l’encadrement, les prix n’augmentaient plus que de 1% par an, soit moins qu’à Bordeaux (4%), Nice, Lyon ou Montpellier (2,5%). L’encadrement des loyers a donc permis de stabiliser les prix. En repartant à la hausse, c’est le pouvoir d’achat des Parisiens qui baissera. Si l’on souhaite que les familles et les classes moyennes puissent continuer à se loger à Paris, il est nécessaire d’agir sur le montant des loyers."
L'Humanité.fr : qu’est-ce qui n’a pas fonctionné alors que Paris est citée en exemple et que va faire la mairie de Paris ?
Ian Brossat : "l’encadrement des loyers fonctionnait incontestablement, les chiffres parlent d’eux-mêmes. La décision du tribunal administratif ne juge pas l’efficacité de la mesure à Paris, mais son application au regard du texte de loi, qui prévoyait d’appliquer l’encadrement dans toute l’agglomération parisienne. La Mairie de Paris demande donc au gouvernement de prendre ses responsabilités et faire appel de la décision, sans plus attendre, pour que l’encadrement des loyers puisse s’appliquer à Paris, et que cette décision ne pénalise pas les habitants de la capitale."
Loyers à Paris : la justice « exhausse » le souhait de Macron
Après Lille, Paris se retrouve à présent dans la même situation ; mais si la décision ne surprend pas, elle inquiète. Oui, le dispositif mis en place depuis août 2015 n’était pas parfait et maintes fois la CNL a dénoncé ses failles mais nous nous battions alors pour l’amélioration de la mesure, pas pour sa suppression.
Cette décision arrive à un moment de bascule pour le logement en France ; alors que la contestation contre les mesures gouvernementales fait rage et que le secteur privé a été, jusqu’à présent, épargné par les attaques du gouvernement, cette décision démontre bien une volonté de placer le secteur privé au-dessus de toute régulation.
Les locataires parisiens sont en droit de se poser la question suivante : « où va-t-on se loger ? ». Le privé se transformant rapidement en jungle spéculative alors que le secteur HLM est, lui, gravement menacé.
La loi permet à l’Etat de publier un décret de blocage ou de gel des loyers afin de parer à cette situation d'urgence. Il doit ainsi convoquer la commission nationale de concertation afin d’endiguer une probable flambée des prix des loyers ; à long terme, c’est bien la construction massive de logements sociaux qui freinera la domination du secteur privé. Enfin, la CNL réclame un observatoire des loyers contrôlable et vérifiable ainsi qu’une place plus importante des associations de locataires dans le processus de réclamation en cas de loyers abusifs.
La décision rendue hier par le tribunal administratif de Paris met en lumière la faiblesse de la loi sur l’encadrement des loyers. Son annulation ne doit pas laisser place à un vide juridique et à l’appétit spéculatif des propriétaires privés.
Tous dans la rue le samedi 9 décembre pour réclamer une politique du logement efficace et fédératrice.