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samedi 9 mars 2019

JOURNÉE INTERNATIONALE POUR LES DROITS DES FEMMES.

« NOTRE QUOTIDIEN 
EST UNE GUERRE SOCIALE »
Vendredi, 8 Mars, 2019
Lola Ruscio


Pour la première fois, des femmes gilets jaunes, ultra-précaires, manifesteront vendredi et samedi dans plusieurs villes de France pour porter haut et fort leurs revendications féministes.


Elles étaient les oubliées, elles deviennent les visages des luttes sociales. Aujourd’hui et demain, des femmes gilets jaunes, avec des organisations féministes et la CGT, vont arpenter les rues au rythme de « Femmes précaires, femmes en guerre ! »

Elles se réunissent en assemblée générale tous les lundis à la bourse du travail de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Une cinquantaine de personnes ont afflué lundi depuis Paris et sa banlieue.

Oriane, la trentaine, chouchou rose dans les cheveux et bière à la main, est la cocréatrice de la page Facebook « Femmes gilets jaunes » : « Parce que nous sommes les plus exploitées et précarisées par ce système capitaliste violent, parce que nous sommes discriminées et subissons le sexisme, nous serons en première ligne à cette manifestation ! » lance-t-elle. Bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA) depuis la fermeture de sa micro-entreprise, elle est aussi bénévole à l’Armée du salut.
« Le système nous met dans la précarité depuis l’enfance »

Dans la salle Louise-Michel, chacun a son identité et son expérience. On retrouve ici Engracia, en première ligne de la grève victorieuse des femmes de chambre de l’hôtel Park Hyatt Vendôme, mais aussi Céline Verzeletti, secrétaire confédérale chargée de l’égalité femmes-hommes à la CGT, des professeures, une ex-sans-papiers, des étudiantes, deux hommes, des syndicalistes SUD, militantes NPA et France insoumise. « Mais nous ne sommes pas un parti politique, nous sommes une classe sociale », insiste Oriane, non encartée.

Qu’elles travaillent dans le nettoyage, dans les hôpitaux, dans le privé, toutes portent la voix des femmes isolées, souvent issues de l’immigration. Leila, une ancienne commerçante : « Le système nous met dans la précarité depuis l’enfance. Macron ose en plus nous traiter d’illettrées ! Quand il parle ainsi, c’est une façon de viser nos sœurs, nos mères, nous toutes ! » « Les retraitées, les mères au foyer célibataires sont depuis longtemps invisibilisées par les médias et la société, dénonce une autre femme gilet jaune. Notre quotidien est une guerre sociale, à nous de reprendre nos droits ! » Ces femmes précaires, aux faibles revenus, s’inquiètent des disparitions des maternités et de la réforme du chômage : « Ils tapent sur n’importe quoi ! Regardez la santé, les hausses des contrôles à Pôle emploi ! Mais rien n’est fait pour limiter les contrats précaires imposés aux femmes. »

Contre l’ordre néolibéral, elles se battent pour un meilleur accès au logement, aux soins, aux prestations sociales et pour la création d’un service public de la petite enfance. Des droits exclus ou rognés par le gouvernement en raison de contraintes budgétaires. Contrairement à leurs homologues masculins, elles n’évoquent pas le rétablissement de l’impôt sur la fortune et le référendum d’initiative populaire. « À la télévision, on ne voyait que des hommes s’exprimer pour parler du gasoil. On s’est dit que la parole des femmes n’était absolument pas représentée », explique Chérifa, keffieh autour du cou, bénévole à l’Armée du salut. Depuis presque trois ans, elle vit dans un neuf mètres carrés au Palais de la femme, un établissement parisien dédié aux personnes en grande difficulté. « Je n’ai jamais touché d’allocations familiales, les pensions n’ont jamais été versées, j’ai payé seule les études de ma fille. Tenir avec un salaire de misère, à Paris, c’est dur », résume cette mère de trois enfants. Dans la salle, on croise aussi Torya Akroum, 37 ans, qui a fui son domicile, ses petits sous le bras, après des violences conjugales. Cette cheminote se sent aujourd’hui privilégiée grâce à son emploi. « Mais je travaille la nuit et les week-ends pour un meilleur salaire et mieux élever mes enfants », raconte cette mère isolée de trois enfants et ancienne gréviste à la SNCF. Gilet jaune de la première heure, elle dénonce la baisse des aides personnalisées au logement (APL). Elle a perdu au change : « Je touchais 75 euros, contre 19 euros aujourd’hui. Avec cette somme, j’aurais pu remplir un chariot Lidl. »
« Dans la réussite des hommes, coulent les larmes des femmes »

Lise, 26 ans, fabrique sa pancarte pour la manifestation : « Dans la réussite des hommes, coulent les larmes des femmes. » Ancienne pâtissière, elle a mal vécu son expérience dans la restauration et a fini par démissionner : « C’était l’horreur, des collègues m’ont harcelée sexuellement. Et les patrons nous exploitent bien plus qu’ils n’exploitent les hommes, avec des heures supplémentaires non payées. »

Ces discours tranchent avec les manifestations des femmes gilets jaunes de janvier. L’appel sur Facebook précisait : « Nous voulons montrer que nous sommes la Mère Patrie, en colère, et que nous avons peur pour l’avenir de nos enfants ! » Et aussi : « Nous restons complémentaires et solidaires des hommes, ce n’est pas une lutte féministe mais féminine. » Oriane et ses camarades s’opposent à cette image réductrice du rôle des femmes. Elles rejettent un féminisme institutionnel, incarné aujourd’hui par Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité femmes-hommes. « Les féministes, celles qui luttent tous les jours pour les droits de toutes les femmes, c’est nous, pas Schiappa ! » disent-elles.

Quelles suites pour leur mouvement ? Certaines évoquent des pistes : « Pourquoi ne pas créer un acte gilet jaune sur le chômage ? N’attendons pas que les hommes le fassent, les femmes sont plus touchées par les contrats précaires et les temps partiels », propose l’une d’entre elles sous les applaudissements. Les idées fusent dans la salle, comme si le mouvement social en était encore à ses débuts. Leila prend l’initiative d’écrire une lettre ouverte au président de la République, quand Chérifa souhaite soutenir les femmes jetées à la rue dès la fin de la trêve hivernale. Michelle, à la retraite, propose d’investir les lieux de pouvoir.
Elles n’entendent pas abandonner le monopole du récit aux hommes

Très vite, elles décident de multiplier les actions en semaine. Et reçoivent le soutien de la CGT : « C’est bien de se mobiliser en semaine, avec les organisations syndicales. Grâce aux femmes, on arrivera à faire des actions massives », estime Céline Verzeletti, du bureau confédéral du syndicat. Des commissions « revendications » et « actions » fleurissent, et une nouvelle assemblée générale se tiendra dès mardi prochain.

La mobilisation des gilets jaunes, c’est aussi elles. Et elles n’entendent pas abandonner le monopole du récit aux hommes. « Les revendications des femmes ne passent pas assez dans le mouvement, alors qu’elles devraient l’irriguer, estime une militante. Il faut les inclure dans la lutte générale. » Où va mener ce nouveau mouvement féministe tourné vers les mobilisations sociales ? Il est tôt pour le dire.

Une chose est sûre, ces gilets jaunes d’un nouveau genre peuvent créer un élan de conscience et tisser des réseaux déterminés à renverser les formes de domination. Leila, étudiante, estime : « Une révolution sans les femmes, c’est une révolution contre les femmes. »
Lola Ruscio