40 maires de la Nièvre déposent l’écharpe
Élus et population étaient déjà mobilisés le 16 janvier devant le siège de l’agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté, à Dijon, pour protester contre la menace de fermeture des urg ences des hôpitaux de Tonnerre et Clamecy. J.-C. Tardivon/MAXPPP
Les urgences de nuit sont menacées à Clamecy. Élus et habitants refusent ce nouveau coup porté au service de santé.
Le temps est suspendu à Clamecy (Nièvre) dans l’attente des annonces de l’agence régionale de santé, qui, depuis cet été, fait planer le doute sur l’avenir des urgences de nuit de l’hôpital de la ville. Une quarantaine de maires, ceux de Clamecy et des villages alen-tour, élus communautaires ont décidé de rendre leurs mandats. Leurs lettres de démission sont prêtes. Elles seront envoyées au préfet, ce jeudi. Une réunion est prévue au sein même de l’établissement le soir même, avant une manifestation à l’appel de la coordination de défense des urgences le lendemain. Les commerçants ont, eux, décidé de baisser leurs rideaux. « Quelles que soient nos opinions politiques, nous sommes tous d’accord pour défendre l’hôpital public, explique Claudine Boisorieux, maire (divers gauche) de Clamecy. Nous avons convenu de démissionner de nos mandats de maire mais de rester au sein de nos conseils municipaux. » Il y a dix ans, les élus de l’époque avaient déjà brandi leurs mandats contre la fermeture de la maternité, suivie un an plus tard par la chirurgie. S’ils avaient finalement renoncé à la démission, leur mobilisation s’était poursuivie par une grève administrative lors des élections municipales. « On nous demande d’aménager le territoire, de créer des maisons de santé pour attirer des médecins, et l’État fait du déménagement de territoire. On ne peut pas y arriver », déplore Jany Siméon, maire (sans étiquette) de La Chapelle-Saint-André et président de la communauté de communes Haut Nivernais-Val d’Yonne, qui comprend Clamecy.
Santé. La grève des écharpes tricolores pour sauver les urgences de Clamecy
Une quarantaine de maires de la Nièvre rendent ce jeudi leur mandat municipal pour protester contre la fermeture de l’accueil médical de nuit de l’hôpital de proximité. Un geste d’exaspération face à la désertification médicale provoquée par les politiques d’austérité.
Le geste des élus traduit bien l’exaspération que provoquent les restructurations hospitalières, les disparitions de services, si ce n’est d’établissements entiers, dans les zones rurales. L’action des maires est d’ailleurs soutenue par tous les parlementaires du département, jusqu’au député LREM Patrice Perrot. « Il faut maintenir ce service de proximité », déclare-t-il à l’Humanité, sans se désolidariser de l’orientation du gouvernement et de ses budgets, qu’il a votés.
« Nous avons l’impression d’être des citoyens de seconde zone. Récemment, un agriculteur m’expliquait trouver plus facilement un vétérinaire pour ses animaux malades qu’un médecin pour ses proches », raconte Alain Marchet, le président de la coordination de défense de l’hôpital public de Clamecy. Lui a cru un temps que les groupements hospitaliers de territoire (GHT) pouvaient redynamiser les hôpitaux de proximité. Il a déchanté. « C’est l’inverse qui se produit. On les vide de leurs capacités. C’était d’ailleurs le projet de Roselyne Bachelot (ministre de la Santé de 2007 à 2010 – NDLR). Un hôpital par département et des Ehpad autour. C’est gravissime. » Quitte à se mettre hors la loi, remarque-t-il. « La loi prévoit que toute personne doit pouvoir accéder à des soins en 30 minutes, or, chez nous, c’est déjà 40 minutes. »
Les urgences de nuit condamnées
La nouvelle carte d’organisation des soins condamnerait les urgences de nuit non seulement de Clamecy, mais également de Cosne-sur-Loire, de Decize (Nièvre) et de Tonnerre (Yonne). Elle est d’autant moins acceptée à Clamecy qu’un décret du 13 mars 2017 reconnaît que l’établissement nivernais remplit tous les critères d’« isolement géographique ». Peu importe, l’ARS indique à l’Humanité que des analyses de fréquentation sont réalisées « pour apporter une réponse au cas par cas, en adaptant les horaires aux besoins de la population réellement constatés ». Et ne dément pas ses projets : « Des aménagements d’organisation deviennent indispensables, compte tenu du manque d’urgentistes dont souffre la région : il est nécessaire de mieux répartir leur présence sur le territoire. »
« Ils démolissent tout »
« Il y a des subtilités de langage : le ministère dit : “On ne ferme pas les urgences.” En fait, il ne les ferme pas la journée, et la nuit, un véhicule mobile pourra se déplacer avec un urgentiste. Mais si vous allez aux urgences, vous trouverez portes closes, décrypte Jany Siméon, le président de la communauté de communes. C’est partout pareil, on dit : “Rien n’est décidé”, et quand le couperet tombe, c’est trop tard pour agir. » Claudine Boisorieux, la maire de Clamecy, se demande « en quoi la suppression des urgences de nuit réglera le déficit de 200 médecins de cette spécialité en Bourgogne-Franche-Comté évoquée par l’ARS pour justifier sa décision. Il manque 50 % des effectifs aux urgences d’Auxerre, où seraient conduits les patients de Clamecy », précise-t-elle.
« Même le chef de service et le président de la commission médicale d’établissement disent qu’ils ne pourront pas absorber le flux des 10 000 à 11 000 patients que nous accueillons par an, rapporte Alain Marchet, également infirmier aux urgences de Clamecy. Je ne me fais aucune illusion sur l’avenir des urgences de jour. Le schéma est toujours le même. On commence par la nuit, et le jour suit. Ils démolissent tout. » Il n’est pas le seul à le penser. Avec ses coéquipiers, le président de l’amicale des sapeurs-pompiers volontaires de Tannay (Nièvre), David Oudard, manifestera vendredi en tenue de feu. « Pour être visibles et défendre les pompiers volontaires, qui ne seront plus en capacité d’assurer le droit au secours, à la sécurité de tous nos concitoyens. » David Oudard évoque notamment les plus vulnérables, les personnes âgées des campagnes, isolées. « Nous sommes alertés par téléalarme de problèmes qu’elles peuvent rencontrer chez elles. Nous les conduisons aux urgences pour contrôler que tout va bien après une chute, par exemple. Là, on va les transbahuter pendant des heures. Elles devront se débrouiller pour rentrer chez elles, parfois à 60 kilomètres de leur domicile. » Le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) a fait les comptes. Entre l’investissement dans le matériel (une ambulance coûte 80 000 euros) et les heures supplémentaires passées sur les routes par les pompiers, il en coûtera entre 300 000 et 400 000 euros de plus facturés aux collectivités qui financent ce service public.
« Un AVC la nuit, direct à la morgue »
Actuellement, une intervention dure en moyenne 1 heure à 1 heure 30. Si l’ambulance doit conduire un blessé aux urgences de Nevers (70 kilomètres de Clamecy) ou Auxerre (45 kilomètres), l’équipe de sauveteurs sera mobilisée trois à quatre heures. Autant de temps perdu pour d’autres malades ou victimes d’accidents. « Si vous avez un AVC la nuit dans une commune un peu éloignée, ce n’est pas la peine de vous emmener à Auxerre ou à Nevers, on peut vous emmener directement à la morgue parce que vous n’aurez pas le temps d’arriver vivant, résume Jany Siméon. On nous dit : il n’y a pas assez de fréquentation, ça coûte cher. Mais si on met des critères de fréquentation en campagne, on ferme tout. Est-ce que ça vaut le coup de mettre du bitume sur une route de 2 kilomètres qui mène à une ferme où il y a trois habitants ? Est-ce qu’on décide de ne plus s’occuper de 20 % de la population qui vit sur 80 % du territoire ? C’est un choix politique, et pour l’instant, j’ai l’impression qu’on l’a fait. »