L'heure est à la reconnaissance officielle de ce crime d’État
indissociable du colonialisme
16/10/2018 - PCF
La mise à mort, ce 17 octobre 1961, par la police française d'au moins 200 manifestant-e-s algérien-ne-s venu-e-s défiler, souvent en famille, protestant pacifiquement contre le couvre-feu imposé par le préfet de police, Maurice Papon, pour la paix et pour l'indépendance de l'Algérie a été couverte et encouragée par les plus hautes autorités de l’État.
Comme si la mort violente de près de 300 morts en 3 mois de répression policière en région parisienne ne suffisait pas, les événements du 17 octobre, les morts et les rafles et 11 000 arrestations de même que ces 3 mois de terreur ont été sciemment occultés pendant des décennies tout comme les massacres de Sétif (8 mai 1945), les massacres de 1947 à Madagascar, et Charonne (février 1962) par un État colonial prêt à utiliser toute la violence possible pour réduire à néant l'aspiration à une Algérie libre, indépendante et souveraine. De même, la connivence de l’État et de l'OAS qui organisa attentat sur attentat à Paris et Alger a été délibérément minorée au cours des années suivantes.
Rendre hommage aux victimes du 17 octobre c'est pour la France reconnaître par la voix de ses plus hautes autorités d'aujourd'hui son entière responsabilité dans la guerre coloniale et les crimes d’État commis contre le peuple algérien.
C'est contribuer à restaurer la dignité des victimes et la dignité de la République, c'est prendre en considération la douleur des victimes brisées, civiles ou militaires, la douleur des familles et répondre à l'exigence de vérité et de justice des Algérien-ne-s et Français-es de 2018.
Le Parti communiste français, avec ses militant-e-s et représentant-e-s élu-e-s, participera comme chaque année aux hommages et commémorations des victimes du massacre du 17 octobre 1961 qui se dérouleront demain mercredi, et appelle la population à se joindre en nombre aux cérémonies organisées en France.
18 OCTOBRE 1961, LA PRESSE CHOISIT SON CAMP
Près de 14 000 manifestants seront arrêtés dont 300 seront jetés à la Seine ou exécutés. Raymond Darolle/Europress/Sygma/Corbis
Au lendemain de la manifestation pacifiste des Algériens, réprimée dans le sang, seuls l’Humanité et Libération dénoncent cette nuit de massacre.
«Ray Charles pourra chanter ce soir. Après le passage du service de désinfection, le Palais des sports a retrouvé son aspect habituel. » C’est une des annonces que fait placidement France-Soir, dans son édition parue trois jours après l’assassinat de près de 300 Algériens, le 17 octobre 1961 à Paris. Avec le parc des expositions et le stade Coubertin, le Palais des sports avait été transformé en lieu de détention où la police avait parqué des Algériens dans des conditions inhumaines.
Ce soir du 17 octobre, répondant à l’appel du FLN, 30 000 « Français musulmans d’Algérie » manifestent sous la pluie dans les rues de Paris. Celles-ci leur sont interdites depuis l’infamant couvre-feu décrété par les autorités françaises douze jours plus tôt, avec l’aval du premier ministre, Michel Debré. Le caractère pacifique du rassemblement est garanti par les organisateurs, qui vont jusqu’à fouiller les manifestants. Sur ordre de l’ancien fonctionnaire de Vichy Maurice Papon, devenu depuis préfet de police de Paris, les policiers vont pourtant se livrer à une véritable chasse à l’homme. Papon exige aussi qu’aucun journaliste ne soit présent sur les lieux, contraignant ces derniers à ne disposer que des sources officielles, notamment les informations délivrées par la préfecture. Au total, près de 14 000 manifestants seront arrêtés. Près de 300 d’entre eux seront jetés à la Seine ou exécutés. Le lendemain, dans la presse, la majeure partie des titres vont appuyer ou relayer la version officielle tandis que d’autres journaux, plus rares, dont l’Humanité, refusent de fermer les yeux.
Ainsi le Figaro se fend d’un article retraçant le fil de la journée heure par heure et dans lequel on peut lire dès les premières lignes qu’« il y a eu des heurts, mais (que), grâce à la vigilance et à la prompte action de la police, le pire – qui était à craindre – a pu être évité ». Il ne manque pas d’y adjoindre le communiqué officiel de la police après avoir titré en une : « Violentes manifestations de musulmans algériens hier soir à Paris ».
« Sur le trottoir, sept corps étaient allongés »
Dans les kiosques, le quotidien à grand tirage Paris-Jour barre sa une d’un titre alarmiste : « 20 000 Algériens maîtres de la rue à Paris durant trois heures ! », tandis que l’éditorialiste accable les Algériens qui « ont pu défiler en plein cœur de la capitale sans avoir demandé l’autorisation et en narguant ouvertement les pouvoirs publics et la population ». Pour l’historien Alain Ruscio, la majeure partie de la presse de l’époque se faisait nécessairement l’écho de la méfiance « et même du racisme vis-à-vis de la communauté algérienne », entretenu dans la population. « Mais des journaux comme Libération et l’Humanité dénoncent tout de suite les exactions de la police. Le journal France nouvelle, édité par le PCF, parle même de pogrom », souligne l’historien.
L’Humanité, souvent troué de grands carrés blancs depuis le début de la guerre d’Algérie, décrit la situation au début de la manifestation dans son édition du 18 octobre : « Il y avait des femmes qui scandaient des youyous, il y avait des enfants que les travailleurs algériens avaient amenés avec eux. Mais en plusieurs endroits les policiers et les CRS ont chargé et tiré. » Le journal, qui précise ne pas pouvoir tout dire à cause de la censure gaulliste, titre en une : « Plus de 20 000 Algériens ont manifesté dans Paris. Combien de morts ? » En page 7, le journal communiste décrit ce qui se passe peu de temps après, à deux pas de son siège, situé à l’époque rue du Faubourg-Poissonnière, dans le 9e arrondissement, lorsque le cortège d’Algériens se retrouve face à un car d’agents de police. « Il y eut un moment d’hésitation, puis le chauffeur du véhicule descendit sur la chaussée et tira un coup de feu en l’air : ce fut le signal. Aussitôt, les agents descendirent du car et vidèrent les chargeurs sur les manifestants qui tentaient de trouver refuge dans le restaurant et l’immeuble contigu. » Et l’Humanité de poursuivre la description macabre : « Sur le trottoir, devant le restaurant, sept corps étaient allongés », remettant en cause les chiffres fournis par l’AFP. Le Parisien libéré annonce lui aussi sept morts tout en décrivant un Paris envahi par « les meneurs et les tueurs ». Des qualificatifs utilisés à l’époque par la droite populiste qui ne manque pas de pointer la seule responsabilité du FLN. Même dans le Monde, pourtant plus mesuré dans sa description de la sanglante nuit, Jacques Fauvet pointera du doigt le FLN « puisque, ici et là, c’est le terrorisme musulman qui est à l’origine de ces drames ». Et dans le quotidien l’Aurore, pro-Algérie française, les journalistes n’hésitent pas à dénoncer « la lâcheté habituelle » des meneurs qui « mettaient les femmes et les enfants en avant comme à Bizerte ».
Des dizaines de cadavres d’Algériens repêchés dans la Seine
Le lendemain de la manifestation, Libération, journal issu de la Résistance et dirigé par Emmanuel d’Astier de la Vigerie, tentera d’envoyer un reporter pour pénétrer dans le parc des expositions, où il entendra des cris de douleur et d’effroi. C’est aussi à partir de ce jour que des dizaines de cadavres d’Algériens seront repêchés dans la Seine. Le travestissement de la vérité n’est alors plus possible et un consensus gagne alors la presse, même réactionnaire. Dans le même temps, celle-ci chassera petit à petit le drame de ses colonnes, comme pour faire disparaître les Algériens une seconde fois.
Olivier Morin