"Ceux que nous honorons aujourd'hui
seraient-ils morts pour rien ?
Ils rêvaient d'un monde en paix, solidaire des plus faibles, débarrassé des théories
nauséabondes du fascisme.
Savoie-Léman 2025
Allocution de Bernard Néplaz, co-président du Comité haut-savoyard des associations de mémoire de la Résistance et de la Déportation le C.R.D.
Allocution de Bernard Néplaz, co-président du Comité haut-savoyard des associations de mémoire de la Résistance et de la Déportation le C.R.D.
Savoie-Léman, 26 février 1944, 7 heures du matin. Les quelques 90 internés dans les caves du bâtiment entendent les salves qui mettent fin à la vie du chef adjoint du 1er bataillon F.T.P., Marius Bouvet et de ses cinq jeunes camarades, Ange Angeli, Jean Genoud, André Grépillat, Jean Tallieu et René Trolliet, condamnés à mort la veille par la Cour Martiale milicienne venue d'Annecy. Quant au chef du 1er bataillon F.T.P., Maurice Flandin-Granget arrêté le 20 février à Féternes par la Milice, il est mort le lendemain sous les coups de ses bourreaux. en présence de son épouse, son agent de liaison, arrêtée également. Ni l'un ni l'autre n'ont parlé.
Cette fusillade est le point culminant de la répression engagée par les forces vichyssoises dans le cadre de l'état de siège décrété pour l'ensemble du département à partir du 31 janvier 1944 par l'Intendant de Police Lelong. L'occupant qui prépare son offensive contre le maquis des Glières a confié à la Milice, soutenue par les G.M.R., le soin de réduire la Résistance chablaisienne, et particulièrement le mouvement F.T.P.
Il faut dire que le Chablais est un fief de cette Milice. Elle y a des racines profondes nées notamment des affrontements qui opposent les partisans et les adversaires de la séparation de l'Eglise et de l'Etat depuis 1905. Une poignée de jeunes prêtres fortement influencés par les directives de l'évêque d'Annecy, Monseigneur du Bois de Villerabel en place de 1920 à 1940, sont devenus des fers de lance de la campagne anti-bolchéviste dans certaines communes. Cet évêque en place à Marseille durant les années d'occupation ne sera-t-il pas l'un des deux évêques français révoqués à la demande du Général De Gaulle à la libération ?
Subissant l'influence de ces quelques prêtres, plusieurs familles vont fournir les cadres de la Milice, telle la famille Fillon à Allinges ou Bochaton à Champanges. La Grange Allard, ferme de la famille Fillon à Allinges va devenir le 1er P.C. de cette Milice particulièrement efficace, car ses membres connaissent bien la région et ses habitants. Un lieu où commencent les tortures avant que les Résistants arrêtés soient, transférés à l'Intendance militaire à Annecy, et plus tard ici, au Savoie Léman, devenu le siège de cette Milice.
Permettez moi un souvenir familial à propos de cette famille Fillon qui avant d'habiter Allinges habitait au Lyaud, village natal de mes parents. Un jour de 1936 ou 1937, juchée sur un char fleuri se rendant sans doute à une fête religieuse, Madame Fillon entourée de toute sa famille, croise mes parents qui depuis Sciez se rendaient au Lyaud : quand elle les reconnaît, elle leur crie « Nous sommes l'armée du Christ ». Leur engagement dans cette armée, ses 5 enfants le feront 6 ans plus tard dans la Milice et le payeront de leur vie, après avoir terrorisé le Chablais pendant plusieurs mois.
Qu'on ne se méprenne pas sur mes propos. D'autres prêtres haut-savoyards feront un autre choix, tels ceux qui comme le Révérend Père Louis Favre, fusillé par les Allemands à Vieugy ou l'abbé Jean Rosay de Douvaine, mort en déportation, tous deux victimes de leur engagement au service des persécutés pour avoir permis à des centaines de Juifs de se réfugier en Suisse. D'autres survivront comme l'abbé Bublens à Thonon ou Simon Gallay, Pierre Mopty et Albert Simond à Evian qui, tous quatre recevront le titre de « Juste parmi les nations » sans oublier sur un autre plan, l'abbé Chipier de Publier, membre du Service de Renseignements F.T.P.
Et comme l'an dernier pour que personne n'oublie le témoignage du père Cartier qui avait rencontré les condamnés dans les caves du Savoie Léman, écoutez à nouveau ce témoignage transmis par le frère Rosset à Jacqueline Bouvet Néplaz
« L'état des jeunes était indescriptible...le prêtre faillit s'évanouir et il dut s' asseoir avoua-t-il. Inutile de préciser que ces victimes de la brutalité et du sadisme gisaient à terre..
Vers 7 heures il les accompagna à la cour où les G.M.R. les fusillèrent. On devrait plus tôt dire les achevèrent, car certains furent traînés sur le lieu de leur exécution. »
On imagine les pensées de ceux qui restent entassés dans les caves et qui s'attendent au pire. C'est ce qui se passera bientôt pour Jean Guillozet, Julien Mouille, Louis Pinaud, et Ferrero Tavanti, qui après avoir connu la torture au Savoie-Léman seront transférés à Annecy, traduits à leur tour devant la Cour Martiale milicienne et fusillés comme leurs camarades.
Et puis les autres, les 78 autres, qui furent livrés aux Allemands et déportés, pour la moitié d'entre eux sans retour. Bientôt, ici même, grâce au travail des responsables de l' A.F.M.D. , l'association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Jacqueline Bouvet-Néplaz, Danièle Favre-Lecca, Gérard Capon et Jean-François Martignoles, une stèle sera érigée avec les noms des 78 victimes de cette déportation. Il a fallu du temps pour établir cette liste, car les archives de la Milice avaient été détruites. Merci à l'historien, Michel Germain, à Edmond Boujard, interné ici et déporté avec son père, qui a établi dès 1974, une première liste de ses camarades de détention. Et cela près du mur des fusillés, dont les travaux de rénovation vont bientôt commencer : merci à ceux qui ont agi pour combattre les dégradations du mur et restaurer
-Les responsables des Associations de mémoire de la Résistance et de la Déportation.3
-Bernard Lambert Proviseur de cet établissement constamment à nos côtés dans ce travail de mémoire
-Christophe Arminjon, Maire de Thonon-Les élus départementaux Patricia Mahut et Richard Baud, conseillers départementaux, qui ont fait leur ce combat tout comme Jean Baptiste Baud et Serge Delsante, conseillers régionaux
Ainsi se poursuit le travail de nos associations de mémoire maintenant que les derniers Résistants et les derniers Déportés à quelques unités près nous ont quittés. Nous le faisons dans un contexte national et international préoccupant : partout il est question de guerre, de racisme, d'antisémitisme, de violences, avec un dénominateur commun : la haine.
:Ceux que nous honorons aujourd'hui seraient-ils morts pour rien ? ils rêvaient d'un monde en paix, solidaire des plus faibles, débarrassé des théories nauséabondes du fascisme et du nazisme. En leur nom, nous lançons un appel à tous les démocrates, de toutes tendances, pour s'unir et combattre les forces qui ne cachent pas leur sympathie pour ces idées contraires aux principes de l'O.N.U.et de la déclaration universelle des droits de l'homme.
Plus que jamais les valeurs de la République sont la base de notre combat. Mais n'oubliez pas que si la liberté et l'égalité sont des droits, la fraternité est un devoir.