Il suffit d’avoir dans sa vie fait un seul porte-à-porte – un vrai, avec une bouche et des oreilles, pas une récitation répétée sans écouter son interlocuteur –, parlé politique avec quelqu’un qui n’est pas un proche, pour mesurer combien la politique n’est pas réductible à un programme – aussi réelle soit l’importance d’un programme. La politique, c’est affaire de sens, de repères, de symboles, de mémoire.
1) L’image du Parti communiste est bien sûr liée à celle de l’Union soviétique, elle-même réduite à deux traits dominants : inefficacité économique et écologique ; insoutenable répression dans un climat liberticide. Si la réalité des expériences socialistes fut assurément plus complexe, nous restons souvent sommés de nous expliquer quant à « notre soutien indéfectible » à ce « camp de l’Est » qui n’eut pas que ces deux caractéristiques mais qui, hélas, en grande partie, les eut aussi. De ce point de vue, il ne s’agit pas de nier l’évidence : le communisme en France, d’Octobre à 1991, fut fortement marqué par ce qui se tentait à l’Est. Cela a même, longtemps, été un indubitable gage de crédibilité : nous ne pouvions être taxés de doux rêveurs comme Clemenceau moquant les discours de Jaurès car tous les verbes en étaient au futur. Pour autant, les relations PCF-PCUS ne peuvent être ramenées à ce « soutien indéfectible » et permanent. Et de cela, qui a encore la mémoire au-delà des rangs communistes ? Qui sait la condamnation, sous Thorez, des publications antisémites parues en Ukraine soviétique ? Non pas une condamnation secrète mais, dans le journal communiste français en langue yiddish La Presse nouvelle repris dans ce qui était ensuite l’organe central du PCF. Qui sait que c’est Aragon et Elsa Triolet qui permettent la traduction et la publication en France du premier livre de Soljenitsyne ? Qui a lu l’incroyable article « Pour l’amour de l’avenir » que la romancière consacre audit livre en première page des Lettres françaises en 1962 ? Qui sait ce que furent les relations PCF-PCUS après le terrible été pragois 1968 et dans les années qui suivirent ? Quel écart entre l’histoire du PCF sur ce chapitre et la mémoire dominante !
2) La Résistance. Pour le coup, l’horrible ampleur de la répression anticommuniste et la si large place que prirent les communistes dans la Résistance rendent encore difficile aujourd’hui d’effacer le PCF. Et pourtant, ce n’est pas faute d’essayer. Côté pile, la scandaleuse opération de François Hollande en 2015 : le Président de la République décide alors de rendre hommage à la Résistance et fait entrer quatre figures au Panthéon. Parmi celles-ci, aucun communiste ! Les rouges sont gommés de la photographie... Côté face, non pas la gomme mais le crachat : l’omniprésent Jean-Michel Aphatie se répand depuis plusieurs mois sur le thème « il faut débaptiser les rues Maurice-Thorez » et semble regretter qu’on n’ait pas fusillé le « déserteur » de 1939. Superbement ignorant de l’histoire, le journaliste – que n’étouffe pourtant pas l’humilité – rejoint ainsi son confrère de RMC et l’impayable Michel Onfray dans la délirante récitation selon laquelle le Parti communiste n’a pas vraiment résisté, etc., etc. Bref, deuxième cas de figure : une mémoire qui demeure, mais qui subit bien des assauts, ce qui, sans forte réplique, laisserait forcément des traces.
3) La question coloniale. Dans notre pays si intimement marqué par cette expérience, qui sait aujourd’hui le rôle tenu par les communistes ? Qui sait qu’au lieu même où est aujourd’hui érigé le magnifique siège national du PCF, se tint en 1931 la contre-exposition coloniale vantant l’art de ces peuples dont certain locataire de l’Elysée disait encore dernièrement qu’ils n’étaient pas encore entrés dans l’Histoire... ? Surréalistes et communistes menaient alors cette bataille dans une solitude radicale. A l’heure où un racisme putride souffle son haleine mauvaise sur notre pays, ne serait-il pas utile que cette connaissance historique croisse dans notre peuple ?
Il ne s’agit pas de substituer à une légende noire une légende dorée, mais la mémoire aussi est, pour une part, un combat de classe. Bien malheureux l’homme ou la femme politique qui ne saisit pas l’importance politique de cet enjeu.
J’ai développé ici cette seule dimension mémorielle, mais il va de soi que le centenaire ne s’y réduit nullement. Alors qu’un sondage vient de dire un doute majoritaire quant au caractère positif du capitalisme, la question de la perspective communiste présente sera bien sûr au cœur de cette année de débats, de rencontres, de fêtes, de politique.