Les mots qui fachent par Philippe Torreton:
Coût du travail
Demander à quelqu’un de travailler pour soi coûte de l’argent, il faut lui payer un salaire et les charges qui vont avec, et c’est grâce et uniquement grâce à la production de richesses qu’engendre ce travail que l’on peut le rétribuer.
Sans ce travail, il n’est point de richesses. Cela paraît évident, mais il est des évidences à rappeler, car à force d’entendre à longueur d’analyses économiques absolument pas du tout orientées vers le libéralisme et distillées savamment par nos médias complètement indépendants du grand capital cette expression toute simple « coût du travail » et de lui coller tout de suite une réputation de frein à main, car il serait donc trop élevé et pénaliserait nos entreprises qui savent tellement mieux ce qui est bon pour nous, certains d’entre nous, finissent par s’y résoudre et se demandent si on ne pourrait pas réduire ce fameux « coût ».
Parfois, et même souvent, je rêve que nos courageux et indépendants journalistes économiques relayent avec la même ardeur le « coût » de l’exil fiscal et le « coût » de l’optimisation fiscale pratiqués par ces mêmes entreprises, ainsi que le « coût » de tous ces trains technologiques qu’elles ont ratés. Oui, j’aimerais que, tous les jours, dans les matinales des radios, dans les journaux télévisés, ces moralisateurs économistes nous martèlent le « coût » exorbitant de ces pratiques d’évitement qui pénalisent l’État dans ses missions régaliennes. Dans ces moments-là, je me dis que, pendant qu’ils y sont, ils devraient répéter à l’envi le « coût » des salaires de nos chefs d’entreprise, de ces retraites chapeaux, de ces parachutes dorés ou leurs équivalences du moment, de ces primes en tout genre – à la prise de fonction, au départ –, de ces prises de bénéfices au lieu d’investir dans l’outil de production, de cette manne qui part dans des fonds de pension sans fond qui exigent des taux de rentabilité hallucinants pour les entreprises, cette quête de marge amenant nos si chers chefs d’entreprise à envisager le travail comme une variable d’ajustement. Mais le travail, justement, n’est pas un produit, une matière première que l’on peut marchander ; parler du coût du travail revient à le mépriser et par là même mépriser l’humain qui en est le cœur palpitant. Le travail n’est pas une charge de plus pour l’entreprise, il est la condition sine qua non de l’existence même de l’entreprise, il est à l’origine de la valeur ajoutée de cette entreprise. Réduire le travail à un coût au même titre que l’encre des imprimantes, les trombones, le chauffage et la clim, c’est marchander l’humain, le rationaliser, c’est du taylorisme qui n’en finit pas d’abrutir l’homme. Après avoir réduit son corps à une machine répétitive, on économise à présent sur la maintenance de cette machine. Et ce n’est pas parce que la Communauté européenne vient de marchander des millions de migrants contre quelques milliards d’euros avec la Turquie qu’il faut tout sacrifier à la grande braderie libérale.