Tu es enseignant dans le primaire, quelle est ton appréciation du programme du Nouveau Front Populaire ?
Philip Domergue
En tant que citoyen, je trouve que c'est un programme qui me plaît beaucoup car il y a déjà des mesures d'urgence qui sont à prendre. Notamment, la première mesure qui sera prise, c'est l'abrogation du « Choc des savoirs », une chose redoutable voulue par le Rassemblement National, dont le gouvernement actuel a repris les idées. Ce « choc des savoirs » nous inquiète énormément en terme de liberté pédagogique, avec des groupes de niveaux au collège, avec une réforme des programmes dans le premier degré extrêmement scandaleuse : un programme qui sera fait pour des enfants qui sont en réussite, et mettant de côté les enfants qui sont en difficulté scolaire. Abroger ce choc des savoirs est donc très pertinent.
Ensuite, il y a parmi les mesures à mettre en place durant l'été, la gratuité des cantines scolaires. C’est une bonne chose car, en circulant dans les écoles, nous savons qu'il y a des familles en grande difficulté.
Les Giboulées
Localement, qu'est-ce qui pourrait changer avec ce programme ?
Philip Domergue
Plein de choses pourraient changer. Vous savez peut-être que le Chablais, comme l'ensemble de la Haute-Savoie, est touché cruellement par le manque d'enseignants, à la fois le manque de postes, le manque de remplaçants, et le manque de personnel pour occuper ces postes. Si je développe, concrètement (beaucoup de parents d'élèves le vivent), il y a un énorme problème pour assurer les remplacements dans le département. On a des classes de CP non remplacées pendant 3 semaines, on enlève des remplaçants prévus dans une école sur le long terme pour faire des remplacements d'urgence dans une autre école, ça désorganise complètement le service. Pour éviter cela, il faut augmenter le nombre de postes de professeurs des écoles. C'est ce que propose le programme du Nouveau Front Populaire. Mais il faut aussi s'assurer qu'on recrute suffisamment de personnels pour occuper ces postes. C'est à dire, qu'il y ait suffisamment de candidats aux concours et que ces postes soient suffisamment attractifs. Et là il y a deux mesures intéressantes pour favoriser cela : d’abord, l'augmentation de 10% des salaires (c'est très important pour notre département avec la concurrence redoutable de la Suisse). Ensuite, quand on crée du dynamisme pour augmenter le nombre de postes et recruter plus de personnels on améliore considérablement les conditions de travail pour les enseignants comme pour les élèves, et donc l’attractivité du métier, car il y a actuellement beaucoup de souffrance au travail dans l’Education Nationale.
Les Giboulées
L'extrême-droite, la droite, parlent de l'uniforme à l'école. Est-ce vraiment une solution pour briser les inégalités sociales et culturelles ?
Philip Domergue
C'est de la poudre aux yeux. D’abord, c'est déjà coûteux, et on pourrait dire qu'il serait préférable de mettre l'argent ailleurs. Mais surtout, ce n'est pas parce que les enfants seront habillés de la même façon qu'il y a une égalité sociale à l'école. La principale source d'inégalité sociale à l'école, ce sont les références culturelles de la famille. Par exemple, les enfants issus de familles qui sont en contact avec l'écrit, qui ont, disons, un niveau social important, apprennent très facilement à lire. Une fois qu’ils ont appris à déchiffrer, ils comprennent très vite ce que veulent dire les écrits. A l'inverse, les enfants qui ne sont pas du tout en contact avec l'écrit vont avoir plus de difficultés, même s'ils arrivent à déchiffrer, ils ont du mal à comprendre les textes qu’ils lisent et à interpréter tout le sens qu'il y a derrière les écrits. Leur enseigner comment comprendre un écrit nécessite un véritable travail avec des effectifs peu chargés dans les classes, avec une véritable formation pédagogique pour arriver à améliorer le niveau de lecture de l'ensemble de la population. Donc l'uniforme à l'école ça n'a jamais été la question, ce n'est pas comme ça qu'on va réduire les inégalités. C'est, au contraire, en mettant les moyens dans l'école publique, que l’on peut y arriver.
